CHAPITRE XI
LOWELL CITY
Frère Meissel s’était trompé ; aucun soldat ne vint fouiller l’abbaye. Amanda comprit pourquoi. Ils étaient bien trop occupés à se battre pour prendre en charge les services essentiels de la ville.
La station holo fut la première. Les employés de cette société privée filmèrent leur propre surprise lorsque les soldats de l’amiral Pierce pénétrèrent dans la station qui diffusait sur Mars, sur la plus grande partie de la Ceinture, et qui envoyait des paquets de données à la Terre, à Titan et au réseau de tunnels spatiaux. Les soldats se montrèrent polis. Ils ordonnèrent aux employés de partir, ce qu’ils firent. Puis les soldats en uniforme et armés commencèrent à faire marcher l’équipement.
« Maintenant, nous ne verrons plus que ce qu’ils veulent que nous voyions », dit frère Wu. Mais lui aussi se trompait. Le lendemain matin, Amanda se glissa hors de sa cellule à 5 h et trouva tous les frères déjà rassemblés devant la télé. Elle diffusait un seul message statique, sans aucun son :
CETTE STATION A ÉTÉ RENDUE AU PEUPLE, SOUS LA PROTECTION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT DÉMOCRATIQUE PROVISOIRE DE MARS. LES ÉMISSIONS REPRENDRONT DANS PEU DE TEMPS.
« Notre Père qui êtes aux cieux…» pria à voix haute frère Meissel.
Amanda, étonnée, se tourna vers l’écran. « Qu’est-ce que cela veut dire ? » demanda-t-elle, mais personne ne lui répondit jusqu’à ce que la prière, à laquelle tous s’étaient joints, soit terminée.
« Cela signifie que la faction de l’amiral Pierce s’est emparée des stations, répondit enfin frère Meissel. Ils proclament que le général Stefanak ne peut pas gagner la guerre contre les Faucheurs. Ce qui justifierait leur révolution. Ils doivent être en train de se battre dans toute la ville.
— Se battre ? Mais nous sommes en guerre avec les Faucheurs, pas avec l’amiral Pierce !
— De la bouche des enfants, dit quelqu’un.
— Mais Papa… mon père dit toujours qu’on ne peut pas se battre sous un dôme martien ! On pourrait percer le dôme !
— Cela dépend des armes dont on se sert. Frère Wu, ou pensez-vous aller ?
— Dehors, pour voir ce qui se passe.
— Non. Les affaires de César ne sont pas les nôtres. Vous devez suivre le Saint Office. Laudes va commencer dans dix minutes. »
Frère Wu montra Amanda du doigt, en silence.
« Bon, d’accord, dit frère Meissel. Prenez garde, Shing.
— Je ferai attention. »
Pendant que les frères chantaient Laudes, Amanda resta devant la télé, attendant qu’elle transmette quelque chose. Avant cela, frère Wu revint. Son visage rond était rigide. « Je suis seulement allé au bout de Sigma Street, dit-il à Amanda, seule dans le réfectoire. Ils se battent pour s’emparer des installations des équipements de survie. J’ai vu les soldats de Pierce se servir de fusil laser contre les troupes de Stefanak qui… regardez ! » Il montra la télé.
«… avec courage pour empêcher les forces de l’oppression de couper l’eau ou l’air de la ville. La victoire a été remportée à six heures du matin, et cette station est heureuse de vous annoncer que les installations des équipements de survie sont en sécurité entre les mains des forces de secours. Notre commandant, l’amiral Pierce…»
Amanda n’écoutait plus. Elle regardait fixement l’écran, qui montrait un jeune soldat du CDAS coupé en deux par un fusil laser. L’image fut immédiatement, avec incompétence, remplacée par une prise de vue neutre, mais Amanda l’avait vue.
Sa mère, penchée sur le vivier, et le vaisseau faucheur descendant soudain du ciel en piqué… des cris et des cris, mais pas d’image de sa mère déjà tranchée en deux de l’épaule à la hanche par le canon laser, couchée par terre avec une expression de surprise sur son beau visage, et son père courant et hurlant, le sang de sa mère sur la pierre, près de la mare, coulant dans l’eau, et les poissons…
Salah, retombant de sa couchette, la tête tombant de ses épaules dans un jet de sang…
Le Père Emil, couché dans la rue…
« Amanda, dit calmement une voix, allez dans le trou du prêtre. »
Le sang coulant goutte à goutte dans…
« Oui, répondit-elle d’une voix haletante. D’accord. Mais vous…
— Il n’y a pas de mais. Allez dans le trou et enfilez la combinaison-s. »
Elle revint immédiatement à la réalité. « La combinaison-s. Pourquoi ?
— Parce que je vous dis de le faire. » Puis il se laissa fléchir. « Au cas où la bataille fendrait le dôme.
— Ils sont fous de faire cela ! s’exclama Amanda, et elle s’aperçut aussitôt que la phrase était celle de son père.
— Je crois que oui. Mais si le général Stefanak est tué…
— Ils essaient de tuer le général Stefanak ? » C’était comme essayer d’éteindre le soleil. Le général Stefanak avait été, durant toute sa vie, le centre du système solaire. Il était un fait aussi inéluctable que la lumière, ou l’air.
L’image de la télé, sautillant toujours et changeait maladroitement de mise au point, montrant des soldats gardant le Sommet. Amanda reconnut immédiatement le bâtiment ; tout le système solaire le reconnaissait. C’était le quartier général du général Stefanak, installé sur la partie la plus haute du dôme central de Lowell City, le support central imposant des étais du dôme s’élevant à des centaines de pieds de l’intérieur même du bâtiment. Tandis qu’elle observait, les soldats qui étaient devant le Sommet commencèrent à s’effondrer. Personne ne leur tirait dessus, personne ne se servait de mousse paralysante, les soldats portaient toujours leur armure. Et ils s’effondraient.
« Que… que…» Frère Kawambe. Quand les frères avaient-ils terminé les Laudes et s’étaient-ils rassemblés dans la salle ? Amanda ne s’en était même pas aperçu.
« Ils se servent de virus génémods qui stoppent la respiration », dit frère Meissel.
Amanda hoqueta ; elle ne put s’en empêcher. Les virus génémods étaient totalement interdits. Ils pouvaient tout anéantir. Papa disait que l’on pouvait les concevoir afin qu’ils cessent de se reproduire après un nombre donné de générations, et alors ils mouraient ; mais ceux-là étaient-ils conçus ainsi ? Et même s’ils l’étaient, qui les respirerait avant que le gène tueur commence à agir ? Qui l’avait déjà fait ? Frère Meissel ? Frère Wu ? Elle-même ?
Les soldats du Sommet les avaient respirés.
« Amanda, allez-y », dit frère Meissel.
Elle serra d’abord dans ses bras chacun d’entre eux, perdant ainsi un temps précieux, sans s’en soucier. Hors de l’abbaye, une immense clameur résonna, celle des gens qui couraient, et criaient. La panique.
Amanda courut jusqu’au trou du prêtre, appuya sur les ardillons avec des doigts qui tremblaient, et enfila la combinaison-s. Plus facile de l’enfiler à l’extérieur du trou. Elle entendait toujours la panique se déchaîner dans les rues. Puis, par-dessus cela, un autre son, à l’intérieur : les chants. Les frères chantaient le Saint Office.
Mais ce n’était pas l’heure ! pensa follement Amanda. Peu importe. Ils chantaient tout de même. Puis elle comprit que ce n’était pas le Saint Office, mais un autre chant, qu’elle n’avait jamais entendu : « Dies irae, Dies illa…»
Elle ferma le casque, et le chant, ainsi que tous les autres bruits, s’éteignit.
Amanda rampa dans le trou. Mais alors, elle prit conscience qu’une fois à l’intérieur, avec le casque pour la protéger des virus, elle ne pourrait plus rien voir ni entendre. Elle n’aurait aucune notion de ce qui se passait. Si des soldats fouillaient l’abbaye, elle ne les entendrait même pas arriver.
La trouver ne leur importait guère. Le général Stefanak et l’amiral Pierce se faisaient la guerre dans Lowell City. Ils n’allaient pas chercher Amanda Capelo.
Ainsi équipée, elle revint d’un pas pesant au centre de l’abbaye. Toujours agenouillés dans les stalles du chœur, les frères chantaient. Amanda eut une soudaine vision de ce que tout cela donnerait à la télé – un petit adulte ou un grand enfant, dans une combinaison-s complète, y compris le casque, martelant lourdement le sol entre des rangées de prêtres chantant. Dingue.
Arrivée près de frère Meissel, elle s’arrêta en se demandant comment lui parler sans ôter son casque. Elle n’en eut pas besoin. Il se rendit à l’autel, revint avec le calice et le lui tendit. Amanda retourna au trou.
Une fois à l’intérieur, elle ouvrit la seconde porte et émergea près d’un tas d’ordures, à côté du mur en ciment qui ancrait les étais du dôme. Tout l’espace était occupé par des entrepôts, et le dôme descendait obliquement trop près d’eux pour que l’on puisse se tenir debout. Poussant maladroitement le calice devant elle, Amanda rampa derrière les constructions et fit le tour du dôme en restant derrière le mur de ciment. Lorsque, pour finir, elle arriva à un bâtiment assez méfiant pour verrouiller sa déchetterie, elle découvrit une étroite allée de service qu’elle emprunta jusqu’à la rue, à moins d’un pâté de maisons de l’un des huit sas du dôme.
Elle eut tout juste le temps de voir le dôme s’effondrer.
Un avion militaire passait dans le ciel. Avait-il tiré au faisceau protonique, qui aurait vaporisé toute la cité ? Ou simplement tiré au laser pour traverser le dôme piézoélectrique. Il découpa une fente de cinq cents mètres de long, quasi chirurgicale, et atteignit le plastique, les étais de métal, les constructions, les objets et les gens qui se trouvaient en dessous.
Les étais se déformèrent et commencèrent à s’écrouler.
Amanda courut vers le sas. Elle ne pouvait pas entendre le sas tomber, ni les sirènes qui devaient hurler tandis que l’atmosphère s’échappait Tout arrivait dans un profond silence. Les fenêtres explosaient. Les gens ouvraient la bouche et criaient silencieusement. Ceux qui, comme elle, portaient une combinaison-s se précipitaient vers le sas, se bousculaient pour le franchir et se mettaient à courir. Amanda se força à les suivre jusqu’à ce que chaque respiration fasse palpiter ses poumons de douleur, et que ses jambes cèdent sous elle. Alors elle tomba sur le sol rouge et se tortilla pour regarder derrière elle, Lowell City.
La ville ressemblait à un gros ballon transparent défoncé d’un côté. Elle était trop loin pour distinguer les détails. Seulement le plastique affaissé et les étais brisés ressortant sur le ciel matinal. Tous les gens qu’elle connaissait devaient être morts ou mourants.
Est-ce que frère Meissel et les autres avaient réussi à atteindre l’un des deux dômes plus petits ? Ceux-là semblaient intacts. Non, ils n’auraient même pas tenté de le faire. Ils avaient dû rester dans leurs stalles, derrière la clôture censée les garder hors du monde, et chanter. Dies irae, Dies illa…
Amanda refoula ses sanglots. Elle ne devait pas pleurer – il ne le fallait pas. Elle se remit en marche en regardant droit devant elle, son halètement résonnait dans le casque. Dix minutes plus tard, elle s’aperçut qu’elle portait toujours le calice d’or, la relique de l’Abbaye bénédictine d’Ares sur Mars.
La plaine martienne, qui paraissait si plate vue du dôme, était couverte de grosses pierres de régolite, et d’énormes rochers. Entre eux se hâtaient des silhouettes en combinaison-s, des bus de navette, des véhicules de surface privés, des traîneaux. Ils allaient tous dans la même direction. Amanda fit de même. Les véhicules la dépassaient à toute vitesse. Pour finir, elle aperçut des vaisseaux à l’horizon et comprit que tout le monde se dirigeait vers le spatioport. Tout en marchant, elle vit l’un d’eux s’envoler.
Sans le savoir, Amanda avait fui Lowell City par le sas le plus proche du spatioport. Elle avait une bonne avance sur les centaines d’autres qui tentaient d’y arriver. Quarante mille personnes vivaient dans le dôme central de Lowell City. La plupart étaient maintenant morts, étouffés par manque d’air ou gelés par le froid intense. Certains avaient pu gagner les sas menant aux deux autres dômes plus petits. Tous ceux qui avaient pu mettre la main sur une combinaison-s avaient quitté la ville en véhicule ou à pied dans l’espoir de gagner le spatioport avant que leur réservoir d’air ne s’épuise.
Amanda marchait, engourdie, incapable de penser à ce qu’elle pourrait faire d’autre. Elle était jeune et en bonne santé. Elle atteignit le spatioport avant que tous les vaisseaux civils ne soient partis, vaisseaux qui, à leur tour, fuyaient les gens désespérés qui se ruaient et se battaient pour monter à bord de l’un d’eux, n’importe lequel.
La scène était tellement sinistre que son esprit paralysé frissonnait. Dans un silence total, des silhouettes en combinaisons aux têtes en forme de bulle sautaient des véhicules et couraient vers les navettes, les hoppers et les avions. Les vaisseaux militaires, parqués dans un endroit séparé du champ d’atterrissage, étaient entourés par des soldats qui tuaient tous ceux qui ne possédaient pas le code adéquat. Les civils possédant ces codes ouvraient les sas de leur vaisseau privé. D’autres s’agglutinaient autour d’eux, se poussant et se bousculant pour monter à bord. Certains propriétaires étaient armés ; les gens tombaient ligotés par la mousse paralysante, ou parce que leur combinaison était percée. D’autres restaient à l’écart de la bataille, privés de tout espoir, attendant l’inéluctable. Amanda vit deux silhouettes portant un petit lit spatial entre eux. Un bébé.
Elle hoqueta et se détourna. Mais il n’y avait nulle part où aller. Elle n’avait pas de vaisseau. Elle ne pouvait pas se battre pour monter sur l’un d’eux, et même si elle l’avait pu, elle ne l’aurait pas fait. Elle allait mourir. Tant de gens étaient morts… le Père Emil, et frère Meissel, et frère Wu, si faible ; frère Kawambe… et son père. Il était probablement mort, lui aussi.
Elle s’assit. Même au travers de sa combinaison, le sol rocheux semblait froid. Elle resta assise et attendit de mourir, dans l’espoir de ne pas trop souffrir.
Plus tard, elle ne put jamais dire combien de temps elle demeura ainsi. Peut-être seulement quelques minutes ; la scène autour de vaisseau n’avait pas chanté. Ses fesses semblaient gelées. Quelqu’un surgit dans son champ de vision. Amanda leva les yeux, mais elle ne voyait rien au travers de la visière teintée du casque de l’autre personne.
La silhouette en combinaison toucha le calice qu’elle tenait dans ses bras.
Puis regarda Amanda de près. Sa propre visière était transparente. L’autre saisit la main d’Amanda et la remit sur pied. Elle trébucha puis courut, tirée par elle ne savait qui vers une autre partie du champ d’atterrissage. Comme ils approchaient du hopper de surface qui se trouvait là, une autre silhouette fit de grands gestes. La foule qui entourait le véhicule était peu nombreuse, peut-être parce que c’était le seul hopper incapable de quitter Mars. Mais c’était une foule et, tandis qu’Amanda courait, hors d’haleine, elle vit la seconde silhouette cesser de gesticuler et tirer au pistolet laser sur quelqu’un qui tentait de monter la rampe de force. L’intrus s’écroula sur le sol.
Amanda fut tirée vers le garde qui la visa. Mais l’autre individu qui la remorquait continua à la tirer ; elle monta la rampe, la porte se ferma et Amanda s’effondra de tout son long, haletante, arracha le casque qui soudain semblait l’étouffer, juste avant que le hopper décolle de Mars.
Elle leva les yeux. Deux adolescents la regardaient, une petite jeune fille basanée et un très grand garçon. Un second jeune, en combinaison-s sans casque pilotait le hopper. Le premier haletait aussi péniblement qu’Amanda ; c’était celui qui l’avait remorquée. Il semblait incapable de retrouver son souffle. Mais même courbé en deux et respirant bruyamment, il était beau.
La jeune fille dit quelque chose dans une langue qu’Amanda ne connaissait pas. Le ton, cependant, était très clair ; elle était furieuse. Le pilote éclata de rire, émit une remarque et fit un mouvement de bras, tranchant.
Le premier, qui haletait moins, se redressa. Ce qui arracha à la fille une tirade encore plus furieuse. Il l’ignora. Il regardait fixement Amanda.
« Christos… c’est vous ! Ah-man-dah Capelo ! »
La fille cessa de rouspéter et parut abasourdie. Le pilote se retourna pour l’observer. Amanda ne savait pas que faire. La peur glaça encore plus son corps déjà froid.
Puis le grand garçon dit en anglais avec un fort accent : « Bienvenue à bord, Ah-man-dah Capelo. Content je être vous être pas morte ! »
Elle secoua faiblement la tête.
« Moi à Mars m’occuper votre père ! Bienvenue à bord. »
Ils étaient grecs, lui dit Konstantin. Des Grecs orthodoxes, ce qui ne signifiait rien pour Amanda. Konstantin Ouranis était le grand garçon qui lui avait sauvé la vie, s’arrêtant d’abord uniquement parce qu’elle portait un calice, signe d’une religion qu’elle ne partageait pas et ne comprenait pas. Puis à son visage il l’avait reconnue, grâce aux infos. Il avait dix-huit ans, était né en Thessalonique et connaissait l’œuvre de son père. Il voulait être physicien. Il était venu sur Mars pour demander à Martin et Kristen Blumberg s’ils avaient des recherches du professeur Capelo qui n’avaient pas encore été publiées.
Il sortit tout cela lentement, péniblement, tandis que tous deux se débattaient avec la langue. Le pilote avait posé le hopper sur une plaine lisse où l’on ne voyait que du régolite rouge. La fille et lui écoutaient intensément, comme si cela rendait plus intelligibles pour eux les paroles d’Amanda. « Eux pas avoir anglais, expliqua Konstantin. Moi, une année anglais à l’école.
— Vous parlez mieux que moi je parle grec », dit Amanda timidement. Konstantin lui fit un sourire rayonnant.
La jeune fille, Demetria, était sa sœur. Le garçon plus âgé, vingt ans, était Nikos Papandrea, le petit ami de Demetria. Tous deux le dos rond, se penchaient en avant, les yeux passant de leur ami à Amanda.
« Vous venir par où ? » demanda Konstantin. Son visage semblait inquiet, intéressé. Il avait des yeux brun foncé et des cheveux noirs bouclés : des yeux superbes, des cheveux superbes. Sa peau, d’un brun doré, avait la couleur du miel.
« J’étais à Lowell City, répondit-elle timidement. Dans une abbaye.
— Pardon ? »
Amanda chercha des mots simples. « J’étais avec des prêtres. La messe. Le Saint Office. » L’inspiration la saisit. « Dans une maison de Dieu.
— Splendide ! » Peut-être que son anglais venait de Grande-Bretagne. « Vous à la maison de Dieu, vous êtes… (il chercha un mot)… cachée ?
— Oui, je me cachais. Des hommes qui ont kidnappé… qui ont pris mon père.
— Oui, oui », dit Konstantin, et il traduisit pour Demetria et Nikos, qui firent le signe de croix, comme faisait frère Meissel. Frère Meissel…
« Ils sont morts, n’est-ce pas ? Tous les prêtres de la maison de Dieu ?
— Morts, oui. » Konstantin lui prit la main. Amanda sentit un choc étrange, comme une décharge électrique, remonter son épine dorsale. « Désolé, je être.
— Merci. Ils ont été bons avec moi.
— Splendide, dit Konstantin d’une voix douce. Bonnes personnes. Vous cachée à la maison de Dieu. Et votre père, le professeur Thomas Capelo, lui caché à la maison de Dieu, aussi ?
— Non. Je ne sais pas où il est. Nous n’avons pas été kidnappés… pris ensemble. Je l’ai vu emmené.
— Vous voir votre père emmener. Qui ?
— Je ne sais pas. »
Nikos dit brusquement quelque chose et Konstantin s’arrêta pour lui traduire leur dialogue. Nikos émit une longue réplique volubile.
« Nikos dit méchantes personnes prendre votre père. Mort maintenant, peut-être. Peut-être non.
— Il n’est pas mort, répliqua vigoureusement Amanda. Je sais qu’il n’est pas mort. Ils ont probablement besoin de lui. C’est le meilleur physicien de la galaxie ! Ils n’avaient pas d’autres raison de le kidnapper !
— Je demande votre pardon ?
— Mon père n’est pas mort. De méchants hommes l’ont pris, ils ont besoin de lui. Pour faire de la science.
— Ah, oui, la science, dit Konstantin d’un ton respectueux. Le professeur Thomas Capelo ! »
Amanda hocha la tête. Ils semblaient avoir atteint une impasse. Soudain, Amanda s’aperçut qu’elle avait monopolisé toute la conversation. Elle rougit. « Vous et Demetria et Nikos… vous vivez à Lowell City ?
— Demetria et moi vivre à Grèce. Dans Terre. Nous visiter Mars. Nikos vivre à Lowell City avec père de lui. »
Nikos grogna et fit, de la main, un geste très impoli que le père d’Amanda n’aurait jamais toléré.
« Nikos pas aimer le père de lui », expliqua Konstantin.
Amanda fut choquée. « Mais… son père était-il à Lowell City ? Quand le dôme s’est effondré ?
— Père de lui à petit dôme. Peut-être OK, peut-être pas OK. Nikos se moquer.
— Mais…» Elle se tut ; elle essayait de comprendre. Nikos se moquait de savoir si son père était mort ou non. « Mais, vous pouvez lui envoyer un message radio, ou quelque chose comme ça ? »
Konstantin parla en grec à Nikos qui refit le geste impoli en lui répondant. Amanda rougit. Konstantin dit : « Père de Nikos envoyer radio pour Nikos, parfois, peut-être. Ce…» Il montra du doigt les cloisons du hopper, manquant évidemment du mot pour le nommer, vous dites comment ?
— Hopper.
— Oui. Splendide. Ce hopper être au père de Nikos. Lui vouloir ce hopper encore. »
Le père de Nikos voulait récupérer le vaisseau, mais ne s’intéressait pas à son fils. Non, Konstantin devait se tromper. Ou tout simplement il exagérait, comme Yaeko quand elle disait qu’elle détestait sa mère. Yaeko se disputait pas mal avec sa mère, mais ne la détestait pas vraiment, et l’idée que l’autre puisse mourir ne laissait pas réellement indifférents Nikos et son père. Ce n’était pas possible. Embarrassée, Amanda changea de sujet.
« Où allez-vous maintenant ? »
Konstantin traduisit sa question et une longue discussion s’ensuivit, en grec. Demetria essayait de dire quelque chose et Konstantin, à la grande surprise d’Amanda, se tourna vers elle pour lui lancer sèchement un ordre, ne parlant pas du tout gentiment comme à Amanda. Demetria cessa aussitôt de parler et baissa les yeux. Même Nikos semblait s’incliner devant Konstantin… mais ce n’était pas possible ? Nikos était plus âgé, et c’était son vaisseau. Ou du moins celui de son père.
Pour finir, Konstantin revint à Amanda. « Nous allons où vous vouloir aller. Vous pour cacher. Oui ? » Amanda réfléchit. Où voulait-elle aller ? Marbet Grant n’était même pas sur Mars… mais avait-elle encore besoin de Marbet ? Le général Stefanak avait peut-être enlevé son père, ou Vivre Maintenant, mais ni l’un ni l’autre n’avait peut-être plus de pouvoir maintenant. Si l’amiral Pierce avait gagné la bataille, alors Amanda était saine et sauve. L’amiral Pierce n’avait pas de raison de suivre Amanda ou de faire surveiller la maison de tante Kristen, à Tharsis. Il ne faisait pas partie de ceux qui avaient enlevé son père. Mais l’amiral Pierce avait-il gagné, ou était-ce le général Stefanak ?
« Konstantin, pouvez-vous allumer la radio ? Pour savoir qui, de l’amiral Pierce ou du général Stefanak, a gagné ? »
Il parut comprendre sa demande, du moins les noms et le mot « radio ». Il donna l’ordre à Nikos, qui mit les informations. C’était en anglais ; il ne devait pas y avoir assez de Grecs sur Mars pour émettre dans leur langue.
«… triomphante victoire qui nous libère du contrôle militaire qu’illustrait la loi martiale. L’amiral Pierce a ordonné la fin du couvre-feu, immédiatement appliqué, afin que les survivants puissent commencer la reconstruction du dôme central de Lowell City. Maintenant que Sullivan Stefanak est mort, l’amiral Pierce assumera le rôle de Commandant suprême du Conseil de la Défense de l’Alliance Solaire, et…»
Amanda cessa d’écouter. Alors il était mort. Cela semblait très étrange. Il avait toujours été au sommet, toujours été puissant, aussi longtemps qu’Amanda pouvait se souvenir. Elle se sentait bizarre, comme si la gravité avait soudain manqué.
« Quoi ils dire ? »
Elle parla lentement et de façon claire. « L’amiral Pierce a gagné. Il est maintenant le chef du Conseil de la Défense de l’Alliance Solaire.
— L’amiral Pierce ! » s’écria soudain Nikos, et il fit un large sourire. Amanda ne comprenait pas pourquoi.
« L’amiral Pierce bon pour affaires de mon père, expliqua Konstantin.
— De quelles affaires s’occupe votre père ?
— Beaucoup affaires. Une, voyage de la Terre à Mars. Gros gros vaisseaux. Ouranis Corporation », déclara fièrement Konstantin.
Amanda n’en avait jamais entendu parler, ce qui n’avait rien de surprenant. Son père avait toujours écarté de ses pensées les affaires, ennuyeuses et sans importance comparées à la science.
Konstantin ajouta : « Mon père pas aimer Nikos pour Demetria. Demetria pas écouter. »
« Oh. » Amanda perdait pied. Est-ce qu’un jour, son père… si elle aimait un garçon, quelqu’un comme, disons, Konstantin… mais Konstantin voulait être un scientifique. Cela aurait probablement marché.
Elle rougit de nouveau, à cette pensée.
« Alors, où vous vouloir aller, Ah-man-dah Capelo ? demanda Konstantin.
— À Tharsis. Cela marche ? Ma tante et mon oncle y vivent. Je peux rester avec eux.
— Je demande votre pardon ?
— Ma tante. La sœur de mon père. À Tharsis.
— La sœur du professeur Capelo, oui, à Tharsis. Moi aller là, demander œuvre du professeur Capelo. Splendide. »
Nikos dit quelque chose. Konstantin lui répondit ; Amanda entendit les mots « Tharsis » et « professeur Capelo ». Nikos haussa les épaules et remit le moteur en marche.
« Pourquoi doit-il faire ce que vous dites ? demanda timidement Amanda à Konstantin. En fait, elle n’avait pas à s’en mêler. Mais il ne parut pas offensé.
« Nikos pas avoir argent. Demetria être une fille. Moi avoir tout l’argent de mon père un jour », répondit Konstantin, joyeusement et brutalement.
Amanda ne trouva rien à répondre. Après sa première réaction de reconnaissance, elle avait commencé à se sentir mal à l’aise. Est-ce que Konstantin venait vraiment sur Mars pour parler du travail de son père à elle avec tante Kristen ? Ou était-ce juste quelque chose qu’il avait décidé après l’avoir reconnue au spatioport ? Il en savait long sur son père. Cela signifiait-il qu’il en savait plus encore que ce qu’il lui avait dit ?
Elle n’avait pas l’habitude de penser ainsi, de mettre en doute les motifs de quelqu’un.
Mais alors Konstantin tendit la main pour la relever et la faire asseoir dans un fauteuil du hopper, et, au contact des doigts du garçon, chauds et dorés, elle oublia tous ses doutes.